Saliver pour contrer la sécheresse

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Saliver pour contrer la sécheresse

Les périodes de confinement de 2020, au début de la crise du Covid-19, ont occasionné chez beaucoup de personnes une mise au premier plan de la vie intérieure. Avec elle, nous avons observé une montée en puissance des pratiques magiques. Les réseaux sociaux se sont activés, les autrices et auteurs ont accéléré leur production de contenu (livres, vidéos, podcasts…). Maintenant que nous sortons doucement de la crise [croise les doigts], revient la petite question lancinante : que dois-je faire en tant que magicien.ne ? Personnellement, je trouve la réponse de The Kite dans « Vous êtes l’expérience » convaincante : vous êtes les magicien.nes, la magie est ce que vous faites.

Dans un article plus récent, « Help! I’ve lost my practice! », The Kite répond à une autre question : quand on se sent largué, que notre pratique part à vau-l’eau, comment faire pour reprendre en marche le train de sa pratique magique ? Il propose des pratiques simples et faciles à intégrer dans un planning chargé :

  1. Relaxation du corps
  2. Relaxation de l’esprit
  3. Travailler l’attention
  4. Offrandes
  5. Pratiques énergétiques

Ces pratiques simples ressemblent au programme d’entraînement du Livre du Novice (à lire avant de candidater à l’IOT), à ceci prêt qu’elles mettent moins l’accent sur la performance et plus sur le fait de se libérer du temps pour pratiquer. L’idée est qu’en « se relaxant et en faisant attention », on se maintient un minimum de capacités magiques pour quand la motivation reviendra (elle revient toujours).

Bien que je partage l’objectif et que je trouve la réponse de The Kite utile, je trouve qu’elle ne répond pas au problème. Si vous avez perdu le train de vos pratiques, c’est moins une question de capacités que de perception de la magie autour de vous et de votre motivation à pratiquer (voire dans la vie en général). Un article dans Bloodknife, « Everyone Is Beautiful and No One Is Horny », expliquait qu’au cinéma les personnages sont de plus en plus beaux (incroyablement minces, musclés, coiffés…), mais de moins en moins excités à l’idée de se faire l’amour. De même, les exercices d’entraînement magiques vous rendent beau. N’oublions pas que, comme le souligne Frater U.D. dans « Secrets of Western Sex Magic », l’autoérotisme est la base avant l’érotisme pour autrui. Si vous ne pratiquez plus assez à votre goût, vous n’avez pas besoin d’être plus beau mais plus excité à l’idée de pratiquer la magie. Le Temple des Jeunesses Psychiques a montré, peut-être mieux que quiconque, que pratiquer la magie relève d’une guerre contre nos propres conditionnements (induits par la société & Co). Dans « Liberté de Salivation » (aussi disponible dans la Bible Psychique), Genesis P-Orridge montre que nous devons faire un travail sur nous-mêmes pour être excités par la pratique magique, voire par un style de pratique spécifique. Au-delà de la croyance, nous avons besoin de foi en ce que nous faisons.

En parlant de foi, croyez-le ou non, mais les chrétiens ont parfois des doutes sur la présence de Dieu (au moins ceux dont la foi n’est pas morte). Ils peuvent alors faire une retraite jésuite, dont la technique grossièrement simplifiée ici peut nous être utile. Vous n’aurez besoin que d’un journal. Mais pas de panique, Saint Ignace se contentait parfois d’une seule ligne par jour dans son « journal des motions intérieures ». L’objectif est d’y noter comment vous vous sentez par rapport à la magie. En traduisant du langage chrétien au langage magicien, les jésuites distinguent deux états génériques :

  • Consolation : Vous êtes dans un état de consolation quand vous percevez, dans le monde et en vous-même, la manifestation de la magie telle que vous y croyez en ce moment (ex. être entouré des dieux, avoir une relation plus intense à votre Saint Ange Gardien ou vivre des rêves exceptionnellement inspirants). Cela vous motive à pratiquer la magie et plus globalement à aller de l’avant dans la vie.
  • Désolation : Vous êtes dans un état de désolation quand la magie telle que vous y croyez en ce moment est sans arrêt démentie par les faits. Cela peut être par une absence de résultats, par l’attitude des personnes et du monde autour de vous, voire par votre propre comportement. Cela vous coupe l’envie de pratiquer, vous conduit à mentaliser et à vous mettre en retrait de la vie en général.

Les jésuites recommandent de traiter ces deux états de manière symétrique, et ils prêtent une attention importante aux décisions. Dans leurs exercices, il s’agit d’examiner les décisions qui vous ont mené là où vous en êtes (consolation ou désolation). Si, comme dans l’article de The Kite, vous vous dites « À l’aide ! J’ai perdu ma pratique ! », vous êtes probablement dans un état de désolation. Il faut alors vous poser des questions comme : Qu’ai-je fait hier, ou les derniers jours, qui fait qu’aujourd’hui je n’ai pas d’enthousiasme ? Quelles décisions ai-je prises qui m’y ont conduit ? Gardez en tête que vous êtes voué à être consolé plus tard. Ce mauvais moment est une occasion d’observer vos « démons » personnels (cf. le « Book of Results » de Ray Sherwin), sans chercher à les exorciser. Inversement, si vous êtes motivé pour pratiquer la magie, demandez-vous quelles décisions prises hier et les jours précédents vous ont conduit à votre consolation d’aujourd’hui. Mettez à profit votre enthousiasme pour identifier vos bonnes décisions passées, à réutiliser dans les moments de désolation qui viendront nécessairement. C’est ce que l’on appelle l’examen de conscience. J’espère que vous trouverez cela utile.

DP

Photo : Johannes Plenio