Petit point sur les bornes juridiques

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Petit point sur les bornes juridiques

Je ne sais pas si ça vous le fait aussi, mais autour de moi la plupart des gens ont l’air de prendre ma passion pour la magie comme un genre de déviance sexuelle. Quelque chose que l’on est censé pratiquer chez soi, sans déranger les voisins, ou alors dans un club privé dédié à ça. Quelque chose à ne pas trop exhiber en public. À force de cachotteries, on peut en venir à oublier que l’une des meilleures manières de profiter de sa liberté est de connaître les limites à ne pas dépasser.

Les textes de magie du chaos citent parfois l’abrogation du Witch Act de 1735, survenue en 1951, comme un facilitateur de la renaissance magique britannique. Avant ce texte de loi, la sorcellerie était pour ainsi dire interdite en Grande-Bretagne. Vous pouviez passer jusqu’à un an en prison pour avoir parlé à d’autres personnes de vos pratiques et de leurs résultats. Ce contexte était probablement peu propice à l’échange libre d’informations entre pratiquants. On peut facilement imaginer que Spare et Crowley eurent la vie dure, et que le second méritait alors son surnom « d’homme le plus malfaisant au monde ».
Fort heureusement pour la France, la décriminalisation de la sorcellerie a eu lieu dès la fin du XVIIe siècle avec l’édit de juillet 1682. Pour autant, ce n’est pas open-bar. Dès la Révolution, les professionnels de la médecine dénoncent le charlatanisme, qui entretient l’ignorance et la crédulité des gens. La loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) est une première initiative pour remédier au charlatanisme, plus précisément à l’exercice illégal de la médecine. Ce délit a persisté jusqu’à nos jours et, depuis le début des années 2000, pratiquer la magie peut aussi tomber sous le coup des dérives sectaires. Dès le début des années 80 des commissions d’enquête sont formées, et en 1998 est fondé l’organisme qui deviendra la Miviludes.
Quelque part, heureusement que ces dispositifs existent. Dans le monde du « bien-être, voyance et arts divinatoires, ésotérisme, médiumnité, éveil & spiritisme… », on croise beaucoup de gens vulnérables, qui ont absolument besoin de ces protections-là. L’objet de ce texte est de clarifier quelques bornes à ne pas dépasser. À la fois pour que vous protégiez ces gens-là, et pour que vous vous protégiez des conséquences possibles de l’interaction avec eux. Il s’appuie sur un article très intéressant sur « la répression du maraboutage en droit pénal français », daté de 20221.

N’aidez pas les personnes incompétentes en magie

Premièrement, ne promettez aucune guérison, surtout aux personnes incompétentes en magie. Ne dites surtout pas que vous soignez, de quelque manière que ce soit. Diagnostiquer ou traiter des maladies peut vous valoir une condamnation pour exercice illégal de la médecine. Si vous encouragez une personne à boire quelque chose, puis que sa santé se détériore et que la substance s’avère objectivement nocive, vous pouvez être condamné pour administration de substances nuisibles.
Vu la proportion de gens qui s’intéressent aux pratiques ésotériques pour prendre soin d’eux, vous pourriez vous dire que cela limite les possibilités d’en faire un métier. En quelque sorte, oui. Les vies des initiateurs de la magie du chaos, et celles de leurs prédécesseurs montrent qu’il vaut mieux ne pas gagner sa vie grâce à la magie. Il vaut mieux avoir un travail qui rapporte assez d’argent et qui donne assez de temps libre pour pratiquer la magie autant qu’on le veut. Carroll le synthétise de cette manière :

« Enseigner ou écrire au sujet de la magie m’est apparu comme une piètre manière de gagner sa vie – il ne faut pas lâcher son gagne-pain. Le courant de Thelema s’avère souvent être une philosophie autodestructrice. La magie peut faire une vraie différence en entreprise, mais il faut s’en servir de manière limitée et ne pas la laisser nous submerger. (Peter J Carroll, 2022, p.103-104, traduit par moi)

Il faut aussi éviter de faire de la magie un gagne-pain. La plupart des personnes qui vont y chercher de l’aide sont souvent incompétentes en magie. Autrement dit, elles sont vulnérables et ne font pas preuve d’esprit critique. D’abord, si votre « client » est vulnérable, par son âge, une déficience mentale ou une sujétion psychologique, ou qu’il est la fois crédule et dans le désarroi, vous pouvez être condamné pour abus de l’état d’ignorance ou de faiblesse. Ensuite, si l’on peut démontrer que vous abusez d’une qualité que vous détenez, que vous faites valoir une qualité que vous ne détenez pas ou que vous vous donnez un faux nom, plus largement que vous employez des manœuvres pour tromper, et qu’il y a une remise d’argent, alors vous pouvez être condamné pour escroquerie par manœuvres frauduleuses. Si vous essayez d’aider quelqu’un, que cette personne vous donne de l’argent et qu’in fine les choses ne tournent pas comme elle le veut, ce quelqu’un ou ses proches peuvent facilement vous mener la vie dure.

Soyez discrets et intelligents avec vos attaques

Secundo, soyez discrets et intelligents avec vos attaques magiques. Avec ou sans client, cela fait peu de différence. On peut comprendre la logique du droit à leur sujet en se plongeant dans la série Jim Rook de Graham Masterton :

Le cycle des romans de Jim Rook raconte l’histoire d’un enseignant aux prises avec des forces surnaturelles menaçant mortellement ses élèves. À chaque roman, il y a un court passage où l’horreur est sublimée par le fait que des personnages se mettent en danger en ne croyant pas aux phénomènes que Jim perçoit directement. Dans Magie Vaudou, Jim Rook essaie d’arrêter un sorcier vaudou qui, à travers son influence sur son filleul, produit des accidents à l’école : « Pourtant, il aurait déjà pu les massacrer. Il n’avait pas besoin d’un prétexte. Il était invisible pour tout le monde, excepté Jim. Personne ne croyait à son existence, donc on ne pouvait pas l’arrêter. » Dans Magie Indienne, Jim Rook essaie d’arrêter un sorcier amérindien, qui a fait d’une de ses élèves un ours-garou pour être sûr de se marier avec elle : « John Trois Noms a raison. Personne ne croira jamais que tu as vu la Jeune Fille Se Changeant En Ours. Tu seras mis sous les verrous par les personnes à qui tu as demandé de l’aide, et elles jetteront la clé ! »

Face à la justice, les attaques magiques bénéficient du fait que le lien de causalité est très difficile à démontrer. C’est pourquoi les violences physiques sont hors sujet, et que le meurtre est très compliqué à documenter. En revanche, une personne pourrait faire valoir l’existence d’un choc psychologique, si elle est une personne impressionnable et qu’elle se savait la cible d’un sort au moment du choc. D’où l’importance d’être discret : ne tirez pas de pétards, et n’utilisez pas de barre de fer pour vous rendre impressionnant ! Sinon, vous pouvez être condamné pour violences morales.
Si vous conduisez une personne à boire quelque chose, deux conséquences sont possibles. Soit vous croyez que le breuvage est nocif, et qu’il le soit ou non vous pouvez être poursuivi pour tentative d’empoisonnement. Soit vous ne croyez pas qu’il est nocif, mais que la santé de la personne se détériore ensuite et que la substance s’avère objectivement nocive, et vous pouvez être condamné pour administration de substances nuisibles.
Enfin, si vous avez besoin d’effets personnels de la personne visée, vous pouvez être condamné pour vol. Et si vous infligez à des animaux des sévices graves ou des actes de cruauté, vous pouvez être condamné pour maltraitance animale.

Conclusion

Pour finir, je n’aborderai pas la question des dérives sectaires. C’est d’autant plus étonnant que l’IOT, en tant que communauté, peut en théorie renforcer les instincts grégaires menant à ce genre de dérives. D’ailleurs, l’IOT est peut-être déjà surveillé par la Miviludes. Celle-ci relaie depuis un moment les alertes des associations de victimes de pratiques que l’on peut associer à la magie, telles que le néo chamanisme, les « rééquilibrages de l’énergie » et le reiki2.
Je n’aborde pas les dérives sectaires pour une raison pratique, elles ne sont pas abordées dans l’article sur le maraboutage. Puis pour une raison de principe, se limiter au maraboutage est cohérent avec les écrits des magiciens du chaos. Dès le SSOTBME (1975), Lionel Snell montre une différence capitale entre la magie et la religion : La magie sert à atteindre des objectifs concrets, pas à rassembler les gens entre eux. Rassembler les gens est l’objet de la religion. La réussite de la magie en général, et de la magie du chaos en particulier est intrinsèquement liée à l’absence d’instinct grégaire. Ainsi, on peut surtout être mis en difficulté par les risques rencontrés dans le maraboutage.

En synthèse, en France, vous êtes libres de pratiquer la magie comme vous le voulez tant que vous ne dépassez pas l’une de ces deux bornes :

  • N’aidez pas les personnes incompétentes en magie
  • Soyez discrets et intelligents avec vos attaques

Ayez à l’esprit la clause limitative de responsabilité, du début de l’ouvrage le plus dangereux de Hyatt, avant de passer l’une de ces bornes : « demandez un avis à votre avocat, à votre docteur et à votre commissariat de police local ».

DP

Photo : Tex Texin

  1. https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/la-repression-du-maraboutage-en-droit-penal-francais/h/b032e5873fce1f8d59325fba5b009869.html ↩︎
  2. https://www.miviludes.interieur.gouv.fr/quest-ce-quune-dérive-sectaire/où-la-déceler/santé ↩︎